« Sans énergie nucléaire, le défi climatique deviendra beaucoup plus difficile »
Dans une carte blanche récemment publiée sur CNN, les directeurs de l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) et de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) s'expriment sur le rôle important que joue le nucléaire dans la réalisation des objectifs climatiques. Dans cet article nous en résumons les arguments les plus importants.
La pandémie de COVID-19 est une crise sanitaire mondiale qui révèle une autre crise sous-jacente : même en récession économique, les émissions de CO2 restent trop élevées.
Afin d'atteindre les objectifs climatiques, les énergies renouvelables doivent être à la base de la reconstruction économique. La forte croissance de l'énergie éolienne et solaire, la percée des voitures électriques et les promesses du captage du carbone et de l'hydrogène donnent de l'espoir. Mais comme la crise climatique est un défi majeur, nous n'avons pas le luxe aujourd'hui d'exclure d'autres technologies à faible intensité de carbone. L'énergie nucléaire est la deuxième source d'électricité à faible teneur en carbone après l'hydroélectricité.
Le secteur de l'électricité est au cœur de la transition énergétique. C'est la plus importante source d'émissions de gaz à effet de serre au monde, tout simplement parce que la majeure partie de l'électricité est produite par des sources d'énergie fossiles (charbon, lignite, mazout, gaz). En produisant plus d'électricité avec des sources d'énergie à faible teneur en CO2, nous pourrions réduire les émissions. Le défi est immense, car pour atteindre les objectifs climatiques, la quantité d'électricité que nous produisons à partir de sources bas carbones doit tripler d'ici à 2040. Or il est difficile de voir comment cela sera possible sans l'énergie nucléaire.
Sans efforts supplémentaires (tant pour maintenir les centrales existantes ouvertes plus longtemps que pour en construire de nouvelles), l'avenir de l'énergie nucléaire n'est pas brillant. Les chiffres sont pourtant assez parlants : avec une part de 10% dans la production mondiale d'électricité, l'énergie nucléaire représente 33 % de toute l'électricité pauvre en carbone. La grande sécurité de l'approvisionnement en énergie nucléaire (jour et nuit, hiver et été, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7) est un atout particulièrement important, et cela est apparu très clairement lors du premier confinement : aucun réacteur nucléaire n'a dû être arrêté.
Birol (directeur de l’AIE) et Grossi (directeur de l’AIEA) ont trois avis pour les pays qui utilisent actuellement l'énergie nucléaire :
MAINTENIR
Les pays qui ont été les premiers à adopter l'énergie nucléaire (dont la Belgique) disposent d'un parc de réacteurs vieillissant. La durée de vie opérationnelle de ces réacteurs peut être portée à 60 ans de manière sûre et rentable. Cela permet de gagner du temps afin de développer d'autres technologies bas carbone.
RENOUVELER
Même si la durée de vie des réacteurs existants est prolongée, il faudra en construire de nouveaux. Les conceptions de réacteur les plus récentes présentent des caractéristiques opérationnelles et de sécurité supérieures, mais elles nécessitent des investissements initiaux importants qui mettront des années à porter leurs fruits. Les gouvernements pourraient soutenir de manière proactive le financement de ces coûts initiaux élevés par des contrats à long terme, des garanties de capital et même des investissements directs. Sans compromettre la sécurité, les autorités publiques doivent veiller à ce que les procédures d'autorisation n'entraînent pas de retards inutiles.
INNOVER
Les nouvelles technologies, telles que les petits réacteurs modulaires et les grands réacteurs avancés, offrent des avantages en termes d'exploitation et de sûreté, nécessitent moins d'investissements initiaux et seront plus faciles à intégrer dans les systèmes électriques. Le secteur privé s'intéresse à ces technologies, mais la politique publique sera cruciale pour leur développement. Bien que l'objectif principal de l'énergie nucléaire soit de produire de l'électricité, les nouvelles technologies pourraient jouer un rôle plus important dans la transition vers une énergie propre.
Les taux d'intérêt historiquement bas d'aujourd'hui offrent une occasion unique de financer des investissements dans le nucléaire et d'autres technologies énergétiques propres. Cette occasion ne doit pas être manquée.
Conclusion
L'énergie nucléaire a un rôle évident à jouer dans la réduction des émissions mondiales de CO2. Les problèmes de sûreté et de gestion des déchets ont donné à l'énergie nucléaire une image négative, mais le monde dispose déjà d'institutions et de technologies qui fonctionnent bien pour traiter ces questions. Compte tenu de l'ampleur et de l'urgence du défi climatique, nous ne pouvons pas nous permettre d'exclure l'énergie nucléaire.
Fatih Birol, directeur exécutif, Agence Internationale de l'Énergie
Rafael Mariano Grossi, directeur général de l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique